Michiko Kono

  • 01.07.2011

Michiko Kono prouve qu'à 34 ans on peut être commissaire d'exposition et conservatrice d’un des musées les plus réputés au monde : la Fondation Beyeler à Riehen dans la banlieue chic de Bâle. Douce, féminine et en avance sur son temps, Michiko Kono est à l’image des expositions qu’elle construit. Rencontre avec une curatrice aussi passionnée que passionnante et au parcours atypique.

Comment en êtes-vous venue à l'art? Quel est votre parcours?

Je suis née à Vienne en Autriche, d'une mère française et d'un père japonais. Enfant, je jouais du violon dans l'orchestre que dirige mon père. Il voulait vraiment que je devienne violoniste professionnelle. Ce qui n'était pas vraiment mon rêve. Après mon Baccalauréat au lycée français de Vienne, je suis partie à Paris pour faire une licence de langue et civilisation japonaises. Puis j'ai eu l'occasion d'être rédactrice de l’édition spéciale sur le Festival International du Film de Cannes pour le Film Français. Suite à cette expérience, je suis retournée à Vienne pour être l'assistante une soprano d'origine suisse, Axelle Gall, dont le frère, Hugues Gall, a été directeur de l'Opéra Bastille. C'était avant de me mettre sérieusement aux études de l'histoire de l'art, études que j'ai faites à l'université d'Aix-Marseille. Dans le même temps, j'ai également passé le Capes d'allemand, suite à quoi je suis partie enseigner pendant un an à Belfort. J'ai tout de suite su que le professorat était un domaine dans lequel je n'allais pas m'épanouir.

Je suis alors retournée à Vienne et j'ai eu la possibilité de faire l'inventaire de toutes les œuvres de l'artiste très avant-gardiste Oswald Oberhuber. Lui-même avait fait renaître la galerie pour laquelle j'ai travaillé par la suite, la galerie nächst St. Stephan. Une galerie des années 20 qui a joué un rôle très important sur la scène artistique viennoise. Dans les années 70, Oswald Oberhuber a décidé de quitter cette galerie pour se consacrer à sa carrière artistique. La galerie a été reprise par Rosemarie Schwarzwälder, et je suis devenue son assistante durant trois ans.

En 2007, j'ai eu envie de quitter Vienne, de voir autre chose et j'ai simplement envoyé une candidature spontanée à trois institutions d'art pour lesquelles j'avais envie de travailler. J'ai eu énormément de chance, puisque c'était trois institutions qui cherchaient à cette période des assistants de commissaires d'exposition. La Fondation Beyeler a été un choix de cœur, car Bâle est pour moi une grande place culturelle.

Comment se passe votre travail à la Fondation Beyeler? Que faites-vous d'autres tout au long de la vie d'une exposition?

Concernant le travail préliminaire à une exposition, il ya une réflexion commune qui consiste à faire des propositions pour voir ce qui est réalisable. Une fois que la décision est prise, le dialogue avec l'artiste s'accentue. On invite ce dernier, on lui montre nos locaux et voit avec lui si une exposition est réalisable à moyen terme. A partir de là on définit une date et l'artiste nous fait une proposition artistique.
En dehors des expositions, mon travail quotidien est très administratif. Je m'occupe de notre base de données, de correspondances avec d'autres musées, de prendre contact avec d'éventuels prêteurs. Comme je suis aussi en charge des commissaires invités, je suis leur contact principal à la Fondation Beyeler. Je dois donc réunir des informations et les transmettre aux bonnes personnes. C'est plutôt un travail d'organisation. Le suivi des artistes et étudier ce qui pourrait m'intéresser, je le fais aussi en dehors de mon travail. Cela consiste à aller voir des expositions, faire des voyages.

Justement, que faites-vous en dehors de la Fondation Beyeler? Avez-vous d'autres passions?

La musique continue d'occuper mon temps libre. Mais plus le violon, cela dit je continue à l'entretenir, une fois par an il va faire un tour chez le luthier! Je continue par contre à faire du piano. J'ai aussi une collection de vinyls avec une prédilection pour la musique soul et funk des années 70 et j'aime beaucoup être DJ dans des soirées. J'aurais même aimé produire de la musique. Et puis dans tous mes loisirs, il y a aussi l'art contemporain, bien entendu.

A propos d'art contemporain, comment s’est passée la collaboration avec Beatriz Milhazes pour votre première exposition en tant que commissaire? Comment avez-vous procédé, concrètement?

L’envie de réaliser cette exposition venait à la base de Sam Keller, qui suivait Beatriz Milhazes dans son œuvre depuis très longtemps. Il y a deux ans, la Fondation Beyeler a donc décidé de faire cette exposition. Beatriz Milhazes a très vite su qu'elle voulait montrer de nouvelles œuvres et profiter de l'espace de la Fondation pour faire des œuvres particulièrement grande. Son procédé de travail est particulier et très long et demande beaucoup de temps de séchage. Sam Keller m'a fait confiance pour mener à bien ce projet d'exposition. Beatriz Milhazes est donc venue 18 mois avant l'exposition avec déjà l'idée de faire 4 tableaux autour du thème des 4 saisons et de montrer un mobile où elle se servait d'éléments qui sont traditionnellement utilisés pour la décoration des chars du carnaval de Rio. Je suis donc allée lui rendre visite à Rio au Brésil dans son atelier quatre mois avant le début de son exposition car ses œuvres étaient en cours de réalisation et on avait aucune idée de ce qu'elle allait proposer car personne ne les avait encore vues. Puis l'exposition a démarré avec un réel intérêt de la part des médias.

La Fondation Beyeler s'ouvre de plus en plus à l'art contemporain. D'où vient cette volonté?

Il y a toujours eu une ouverture à l'art contemporain, déjà au temps de Markus Brüderlin, qui était le conservateur en chef de la Fondation Beyeler pendant de nombreuses années. Il avait toujours l'idée de faire des expositions qui commencaient dans les salles supérieures avec du classique moderne et qui se terminaient dans le souterrain avec des artistes contemporains. Ensuite, il y a eu une période où cette tradition s'est un peu perdue. Elle a été reprise en janvier 2008 avec l'arrivée de Sam Keller. Les expositions temporaires s’attachent à créer un lien avec l’art d’aujourd’hui. La Fondation présente deux expositions par an, en étroite correspondance avec la collection et avec son caractère tout à fait spécifique. C'est comme cela que l'on a pu exposer Sarah Morris, Günther Förg ou encore Franz West.
Pour ma part, cela m'apporte une certaine indépendance, puisque je suis en rapport direct avec les artistes, leurs assistants et leurs galeries. Pour cela, je travaille en étroite collaboration avec Sam Keller dans l'esprit d'une petite équipe.

Y a t-il des moments clés dans votre parcours?

Chaque décision que j'ai pu prendre dans mon parcours a été un moment clé. Je ne vois pas de points qui auraient plus d'importance que d'autres. Ma première heure de cours en tant que professeur d'allemand a été un moment clé autant que celui concernant mon arrivée à la Fondation Beyeler.

Pouvez-vous nous parler de la nouvelle exposition « Constantin Brancusi & Richard Serra ». Quel est le propos?

C'est une exposition extraordinaire. On a choisi de mettre en relation Brancusi et Serra car Richard Serra lui-même avait passé une année à Paris où il allait très régulièrement à la reconstruction de l'atelier Brancusi ce qui l'a énormément fasciné et poussé définitivement à devenir sculpteur et à abandonné la peinture.
On a donc voulu montrer deux artistes qui chacun à leur manière ont minimalisé la sculpture. Le dialogue est très ouvert, on peut prendre l'exposition comme deux rétrospectives séparées, indépendantes l'une de l'autre.

Quel serait votre casting idéal pour une exposition à la Fondation Beyeler?

J'ai des projets que j'aimerais concrétiser. Joker donc!

Quels sont vos endroits préférés dans la région?

Je sors principalement à Bâle, en circulant en tram ou à vélo. Mes endroits favoris sont le Cargo Bar, car c'est un lieu varié avec une programmation très éclectique. J'aime beaucoup le Nt/areal et c'est vraiment dommage que cet endroit soit amené à disparaître. La Kaserne a également une bonne programmation surtout en seconde partie de soirée.

Le critique d'art français, Paul Ardenne a dit des commissaires d'exposition : « L'artiste, bien souvent, n'est pas considéré par le curateur d'exposition comme il conviendrait. Il est traité sans égard, instrumentalisé, mis au service d'une vision de l'art qui est moins la sienne que celle, sérieuse, fantasque ou tactique, des metteurs en scène de son œuvre » Que pensez-vous de son propos?

Pour moi, le rôle du commissaire d'exposition trouve son intérêt dans la réunion d’œuvres d'artistes différents. Il doit jouer le rôle d'un chef d'orchestre, en disant quelles œuvres représentent un dialogue intéressant avec d'autres œuvres ou quel artiste est intéressant avec quel autre artiste.
Il ne faut pas oublier que le rôle principal de l'artiste doit être de produire, réaliser des œuvres et transmettre un message à travers ces dernières. Le propos de Paul Ardenne peut concerner une déformation d'un historien de l'art qui cherche à faire coller ses propres idées ou ses propres théories sur les œuvres d'un artiste alors que c'est loin de ce que voulait dire l'artiste au départ. Cela peut en effet arriver. Cela dit, souvent des artistes sont invités pour être également eux mêmes commissaires d'une exposition.

fondationbeyeler.ch

Par Julien Di Giusto

Fondateur de l'agence de communication Mars Rouge et du magazine online subject.fr. Collabore avec le label italien Angle Records pour le magazine NG™. Vit à Mulhouse.

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